L’un des objectifs scientifiques de la mission d’octobre 2019 co-dirigée désormais par Guillaume Charloux (CNRS), Maria Guagnin (Université libre de Berlin) et Abdullah AlSharekh (université du roi Saud à Riyadh) fut de trouver des indices qui permettent de préciser la datation et la fonctions cultuelles ou religieuses des sculptures.
Ils ont invité les préhistoriens Rémy Crassard et Hilbert Yamandu à participer à ce projet afin d’étudier les outils lithiques présents à la surface et dans le sol du site. Les pointes de flèches en silex et les outils de gravure en quartzite qu’ils ont découverts, attestent de plus en plus l’hypothèse que ces sculptures monumentales aient pu être gravées à l’âge de pierre.
Durant la mission, Maria Gagnin et Guillaume Charloux ont poursuivi leurs explorations en essayant de comprendre et d’imaginer le site tel qu’il était à l’origine. Ils ont étudié minutieusement les blocs de grès détachés des parois par l’érosion à la recherche de traces de sculptures. Comme pour un puzzle, ils essaient de restituer, à partir des morceaux de roches gravés qui gisent au sol, les bas-reliefs tels qu’ils étaient à l’origine, avant que l’érosion ne les détache et les disperse. Ils sont aidés dans cette tâche par Pascal Mora, spécialiste de la modélisation des sites archéologiques, qui photographie sous tous les angles les morceaux de grès et les massifs rocheux afin de réaliser une reconstitution en 3D du site.
Mais à l’urgence scientifique motivée par la saine curiosité des chercheurs, s’opposent l’ombre malveillante d’une autre curiosité, attisée par les rumeurs et les fantasmes de trésors dissimulés, qui menace, elle, l’existence du site. Des blocs de grès ont déjà été endommagés et brisés, heureusement sans conséquence pour les sculptures. Situé au bord d’une route sur un terrain privé, le Camel Site ne bénéficie d’aucune protection.
Afin d’alerter leurs hôtes de l’urgence à protéger le site, Maria et Guillaume ont entrepris de communiquer tout azimut auprès des autorités saoudiennes et de leur faire prendre conscience de sa valeur patrimoniale, culturel et scientifique. Mais il leur a fallu user de toute leur légitimité et de leur réputation d’archéologues auprès des Saoudiens, car la question des origines et du rôle culturel des vestiges laissés par les civilisations pré-islamiques en Arabie Saoudite est une notion particulièrement sensible et un concept novateur potentiellement sujet à controverse.
Guillaume et Maria n’ont cependant pas hésité à pousser leurs arguments auprès de leurs hôtes, notamment sur l’intérêt que représente le Camel Site pour la connaissance de leurs origines et de leur histoire ; quels plus beaux symboles en effet que des sculptures millénaires de chameaux en Arabie Saoudite ? Ils ont insisté sur la nécessité de les préserver et de les valoriser, en mettant en perspective la potentielle renommée internationale du site et les retombés touristiques susceptibles d’en découler. Pour se faire, ils ont rencontré les responsables de la SCTH (Saudi Commission for Tourisme and National Heritage), réussi à faire visiter le site à l’émir de la région du Jawf pour le convaincre de l’urgence à prendre des mesures de conservation. Ils ont aussi réussi à faire venir sur place, avec l’aide de leurs collègues de la SCTH, des scouts qui, après que Guillaume leur ait tenu un discours sur la nécessité de préserver leur patrimoine, ont nettoyé le site des détritus et objets encombrants qui par endroit jonchent le sol.
Leur démarche est l’illustration que le rôle des archéologues en mission à l’étranger ne se limite pas à celui de chercheur mais que, selon les contextes, il est aussi diplomatique et politique. Une diplomatie opportunément légitimée et servie, par leur statut de scientifique, quand ils expliquent à leurs hôtes l’importance du Camel Site pour l’histoire, la culture et l’économie de leur pays et pour le monde entier.