Aux pays des manoirs
(Extraits de l’introduction de Michel Floquet dans l’ouvrage « Manoirs, les sentinelles du Perche »)
Qu’est-ce qu’un manoir ?
Peut-être faut-il commencer par dire ce que ce n’est pas. Un manoir n’est pas un château. Ni un château féodal, édifice militaire et lieu d’incarnation du pouvoir, ni un château de la Renaissance, résidence de prestige. Un manoir est un lieu de vie et de travail, une maison noble toujours associée à une activité économique, en général agricole.
Nicolas Gautier, éminent spécialiste des manoirs, a dénombré dans le Grand Perche, qui était en fait une province relativement peu étendue d’environ 2000 km2, jusqu’à huit cents manoirs. Il en reste selon lui moins de la moitié, et encore, en y incluant les ruines et les vestiges.
Pourquoi autant de manoirs dans le Perche ?
Ces dispositions ont favorisé l’éclosion de nombreux manoirs. Elles ont aussi induit leur faiblesse. Si sur une, voire deux générations, ce morcellement des terres était soutenable, il s’est ensuite révélé catastrophique. Les domaines, trop petits pour subvenir aux besoins de leurs propriétaires, ont été délaissés par les familles nobles qui les ont confiés aux fermiers. Presque tous les manoirs du Perche se sont ainsi trouvés réduits à de simples exploitations agricoles au tournant des XVIIe et XVIIIe siècles.
Le manoir type
Le manoir percheron apparaît après la guerre de Cent Ans, dans la deuxième moitié du XVe siècle. Le conflit a ravagé la province. Pendant l’occupation anglaise, puis au moment de leur retrait, les troupes de Sallisbury ont ruiné la plupart des maisons nobles. En 1450, tout est à refaire.
La noblesse percheronne va alors rebâtir, parfois sur les ruines d’une ancienne construction, le plus souvent en repartant de rien. Les manoirs qui s’érigent dans la campagne ici et là pendant la deuxième moitié du XVe siècle et durant tout le XVIe siècle n’ont plus l’aspect farouche des anciennes demeures féodales. Ils sont percés de « grandes » fenêtres à meneaux et traverses. La préoccupation défensive est toujours là – fossés, bretêches, meurtrières, chambre de guet – mais moins dominante qu’auparavant.
Les premiers accourus
Le morcellement des domaines sur deux ou trois générations, puis le petit âge glaciaire des XVIIe et XVIIIe siècles qui fait s’effondrer les rendements, conduisent à l’abandon de la plupart des manoirs par leurs occupants nobles. Ils vont chercher leur subsistance ailleurs, occupent des charges en ville, vont à la cour ou intègrent l’armée. Arrivent alors les premiers « accourus ». Une noblesse souvent parisienne (déjà), toujours argentée et qui acquiert les propriétés percheronnes, les agrandit ou les regroupe pour en faire des domaines rentables.
Après la Révolution, un certain nombre de manoirs, dont les propriétaires ont émigré, seront vendus comme biens nationaux, souvent divisés en plusieurs lots. Ils évoluent ensuite au gré des rachats de terre et la quasi-totalité demeurent le siège d’exploitations agricoles jusque dans les dernières décennies du XXe siècle.
À partir des années 1960/1970, quelques précurseurs amoureux du patrimoine découvrent la singularité et la beauté des manoirs du Perche. Ils entreprennent de sauver les plus emblématiques. Ce sera le cas notamment pour l’Angenardière, Vaujours ou encore la Vove pour ne citer qu’eux. Puis au tournant du XXIe siècle, l’engouement pour le Perche et ses manoirs fera émerger une nouvelle génération d’accourus. Professions libérales, avocats, communicants ou journalistes… investissent les manoirs du Perche et les restaurent.
Sur les deux cents manoirs environ qui existent encore aujourd’hui, une dizaine peut-être sont toujours la propriété de fermiers.
Michel Floquet